Le poids des contes et légendes | ||||||||
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Les premières histoires comptent énormément dans les représentations des enfants. Dès le plus jeune âge, ceux-ci apprennent à avoir peur du loup. Gravure: Doré, XIXe |
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Tenter dinterroger des enfants dès la maternelle et même dans une région où lon a plus vu de loup depuis plus dune centaine dannées est une expérience édifiante et pourtant véridique. On peut très vite constater quun enfant de cinq ans a déjà une représentation du loup solidement ancrée dans son esprit. Tous, pratiquement, pensent que le loup est un animal méchant, qui mange lhomme et particulièrement, eux, les petits enfants. Une petite fille, seulement, dit timidement et avec beaucoup de réserve : « Ma maman a dit que les loups nattaquaient pas sils nétaient pas attaqués avant, sauf sils ont très faim. » Quoique exceptionnel et remarquable, au vu du reste de la classe, ceci nest que partiellement vrai. Même affamé, le loup préférera manger des poissons, des petits rongeurs, voire même des fruits. De toute façon, il ne reconnaît pas l'homme comme proie. Pourtant, au coeur de notre culture, notre littérature, notre langue même, tout laisse à penser que le loup est un animal cruel et sanguinaire, particulièrement à l'égard des petits enfants. Attention : le loup n'est qu'un symbole ! La peur du loup enseignée aux enfants La peur, incontestablement, est installée dès la plus tendre enfance. Elle possède donc un ancrage des plus solides. Dans une vie, linfluence des premières lectures, bien souvent faites, et donc créditées dans les esprits enfantins, par les parents, est partout reconnue. Cest dailleurs pourquoi celles-ci se voient truffées de morales simples pour les enfants. Quoi de plus marquant que son premier livre, sa première histoire ? On se souviendra toujours du petit chaperon rouge, ou alors, et cest pire, il est juste rangé, pas loin, dans notre inconscient, comme toutes ces choses que lon a apprises et que lon croit avoir tout à fait oubliées. Aucune trace d'un loup qui a attaqué l'homme Il est à mettre en évidence quelque chose de préalable à ce conditionnement anti-loup. Contes et légendes ne suffisent pas à expliquer les conceptions de lhomme vis-à-vis de lanimal, et, de la même façon, leur efficacité culturelle doit être mise sur le compte dune prédisposition psychologique. Les spécialistes de la psychologie humaine, qui sintéressent beaucoup au sujet, ont mis en évidence la présence dans notre inconscient dun autre loup, imaginaire celui-là, qui hante notre esprit de souvenirs et quil faut éliminer. Cest pourquoi lon peut presque parler de psychose. Sagit-il des restes du temps où lhomme, jeune, navait pas encore dompté la nature et se sentait trop vulnérable? Ou alors, serait-ce simplement le fruit des multiples légitimations développées par lhomme qui a tué un loup? Ou encore le résultat des diffamations de celui qui a vu son frère mourir sous les crocs d'un loup au terme dune agression échouée ? Telles sont les questions quils se posent. Quoi quil en soit, aujourdhui, cela fait bien longtemps que le loup ne représente plus un danger pour lhomme. On na pas recensé une seule attaque volontaire dun loup en bonne santé contre lhomme durant tout le XXe siècle, cest-à-dire depuis quil y a de véritables spécialistes de leur comportement. Les régions où la peur subsiste encore sont justement celles où le loup a disparu depuis bien longtemps. Les autres qui sont confrontées à lanimal nont à son encontre que des objections matérielles à formuler dont nous évoquerons bientôt les contraintes, somme toute assez maigres face aux réticences. Le poids des mots Crier au loup La faim fait sortir le loup du bois. Psychanalyse des contes de fées Les contes de fées ont joué, dans notre enfance à tous, un rôle primordial. Ils nous ont charmé et, par la même occasion, ont eu une influence profonde sur nos premières représentations du monde et de nous-même. Ainsi, Charles Dickens nhésite pas à leur attribuer une part de son génie créateur et à leur rendre hommage en ces termes : « Le petit chaperon rouge a été mon premier amour. Je sens que si javais pu lépouser, jaurais connu le parfait bonheur ». Selon Bettelheim, héritier Freudien, « limagerie des contes de fées, mieux que tout au monde, aide lenfant à accomplir sa tâche la plus difficile, qui est aussi la plus importante : parvenir à une conscience plus mûre afin de mettre de lordre dans les pressions chaotiques de son inconscient ». (Bettelheim, 1976, 39). Si les psychanalystes saccordent sur lintérêt et limportance des contes de fées aussi bien dans leurs études que dans les esprits humains, ils divergent dans leurs méthodes dinterprétation. En ce qui concerne le loup, les héritiers Freudiens et Jungiens semblent se rejoindre pour attribuer au loup des contes de fées les pulsions dites « animales » cest-à-dire dévorantes et sexuelles, ainsi que des instincts primaires tels que la colère, la cruauté, la jalousie Lanalyse Freudienne assimilera le symbole du loup au « ça ». Jung, quant à lui, y verra une image archétypale : « lombre et le mal ». Dans les deux cas, il sagit dune part de lhomme refoulée, celle qui, liée au corps, justement, soppose à la raison, ou plutôt au culte de la rationalité, tel que pratiqué dans nos sociétés occidentales. Jung et Freud vont se rejoindre de façon décisive dans le cas qui nous occupe sur la notion de colère, puisque lon évoque souvent la « colère des éleveurs » face au loup. « Se mettre en colère correspond toujours à un abaissement de conscience, sorte de saut dans des réactions primitives ou même animales. ( ) Toutes les pulsions obscures ne se prêtent pas à la rédemption. Certaines, saturées de mal, ne peuvent être laissées libres dagir et doivent être sévèrement réprimées. ( ) Il existe des germes mortels qui peuvent détruire lêtre humain et auxquels il est nécessaire de résister ; il faut, de temps à autre, agir durement et ne pas accepter tout ce qui monte de linconscient. » (von Franz, 1990, 160). Benjamin Moriamé |
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